Le jeu, une thématique oubliée

8 Juillet 2025

Citation - Tribune critique

Nous partageons ce point de vue

Référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant : le jeu, une thématique négligée.

Dans la continuité de ma première réaction au moment de la consultation du pré-référentiel, et de par ma spécialité, je restreins mon point de vue uniquement aux pages consacrées au jeu, soit trois sur cent six. Ce n’est pas tant pour ajouter une polémique de plus dans le secteur de la petite enfance qui n’en a pas besoin que pour pousser un cri du cœur : le jeu est une affaire sérieuse, qui mérite la même rigueur d’analyse que les vingt et une autres thématiques de la première partie du référentiel intitulée « La relation au jeune enfant », à savoir les besoins fondamentaux, la familiarisation, les doudous et les tétines, la référence, l’observation, etc.

J’ai donc parcouru l’ensemble et lu attentivement cette toute petite partie, intitulée « le jeu », en espérant y trouver des orientations qui feraient consensus, tout en laissant place à la créativité des personnes et des équipes pour définir les bonnes conditions de jeu en accueil individuel et collectif. Or, d’une part, constatant qu’aucune modification n’a été apportée au projet de rédaction diffusé depuis quelques mois, je (re)lis des phrases qui manquent de précisions dans le vocabulaire et dans les préconisations. D’autre part, il me semble que les contributeurs et contributrices n’ont pas porté la même attention au registre du ludique qu’aux autres questionnements éducatifs. C’est bien dommage, car pour l’enfant, jouer et être en activité remplit une grande partie de sa journée d’accueil.

Un cap unique : jouer, c’est explorer

L’occurrence des mots « exploration » (x14), « explorer » (x2), « danger » (x13) et risque (x8) témoigne d’une tendance forte, celle de mettre en valeur le besoin d’explorer, qui était désigné sous la forme plus inspirante d’une « vitalité découvreuse » dans le texte cadre pour l’accueil du jeune enfant de 2017, qui était issu du rapport Giampino et dont la mise en application est obligatoire depuis 2021. Ce qui est nouveau c’est de relier systématiquement les bénéfices de l’exploration avec les nécessaires mises en garde. Mais l’insistance – lourde – pourrait être contre-productive pour tout professionnel un tantinet anxieux. En plus, il faut s’y retrouver dans les distinctions entre « danger estimé », « danger réel », « protéger des dangers », « prévenir les risques », « assurer sa sécurité » (les trois dernières expressions dans la même phrase), tout en sachant proposer des « jeux à risque ». Bref, il s’agit de différencier « le danger dont l’enfant doit être protégé et le risque qui peut être l’occasion d’une exploration ». Peut-être trouve-t-on des exemples ou des pistes concrètes dans la partie « pratiques » ? Réponse : il faut « réorienter l’enfant vers d’autres objets » lorsque « l’exploration entre en contradiction avec la sécurité ». Qui n’y avait pas pensé ?

Un vrai oubli : le glissement vers le jeu symbolique

Demander aux professionnels de répondre au « besoin d’expériences et d’exploration du monde » des jeunes enfants est, à juste titre, central dans le référentiel. D’ailleurs, cette demande est renouvelée dans la partie « Le cadre, les repères et les limites », page 44 : « Les professionnels respectent le besoin d’exploration de l’enfant. L’aménagement des espaces intérieurs et extérieurs et les propositions faites à l’enfant sont réfléchis en ce sens. » De là à oublier totalement d’évoquer une autre dimension essentielle du jeu au cours de la petite enfance, comment expliquer cette faute ? Ne pas rappeler aux professionnels d’être attentifs à l’émergence du symbolique, c’est transmettre une vision du jeu strictement limitée à ce que l’enfant « touche, manipule, flaire, goûte, déchire, soulève, renverse, escalade. » Et ce que l’enfant imite, raconte, imagine, invente, rêve ? N’est-ce pas à favoriser aussi ? Je n’ai relevé aucune phrase pour mettre en valeur cette nouvelle forme de jeu qui renforce et complète les comportements exploratoires : le jeu symbolique, autrement dit, d’imitation et de faire semblant. Comment cet oubli a-t-il pu passer le stade de la relecture ?

La motricité, une activité mise à part sans raison

Dans le référentiel, une affirmation sous forme de « Faut pas » est pour le moins surprenante : « Les activités proposées ne sont pas pensées en fonction des sphères de développement à explorer de façon cloisonnée (sensoriel, motricité fine, global, cognitif, langagier…) ». Le même paragraphe est répété page 99 à propos des pratiques organisationnelles. Donc, il faudrait prévoir une activité ludique sans s’appuyer sur un domaine d’expression plus qu’un autre, tantôt les sens, tantôt les gestes de précision, tantôt le mouvement, tantôt le langage, etc. ? Espérant que la partie « Pratiques » donne des pistes pour mieux comprendre, bien au contraire, je lis que des « espaces modulaires ou des espaces de motricité » sont recommandés. Alors, les activités, on peut les « penser en fonction des sphères de développement » ou pas ? Dans ce cas, pourquoi ne pas en faire autant pour les activités salissantes, grâce à un espace sensoriel ? Et quid de l’espace « jeux de faire semblant », le grand absent de ces trois pages ?

Les loisirs créatifs, une notion enfin écartée

Dans le pré-référentiel de septembre 2024, les « loisirs créatifs » étaient à l’honneur, avec des précisions inutiles à propos des « pinceaux, gommettes adhésives, colles, rubans adhésifs, tampons encreurs, feutres, peintures, maquillage, paillettes, pâtes et sable à modeler… » Heureusement, l’ensemble a complètement disparu dans le texte définitif au profit d’ateliers « fait maison », terme discutable, mais plus approprié que « loisirs créatifs » qui concerne des objets décoratifs ou utilitaires fabriqués par les enfants eux-mêmes. Ce n’est pas une raison pour placer deux fois le même paragraphe, une fois dans la partie pratique sur le jeu (page 48) et une autre fois, dans celle sur les arts plastiques (page 66), à savoir : « Les professionnels élaborent des ateliers “faits maison” dans le respect des règles de préparation… »

Des situations de jeu approximatives

Dans les pages sur le jeu, sont évoqués, en plus du jeu libre, les activités en petits groupes, mais aussi le jeu semi-dirigé et l’itinérance. On peut s’attendre à des précisions dans la partie « Pratiques », mais on n’y trouve aucun commentaire. Or, c’est le cœur de métier que de penser les différents temps du jeu, la marge de liberté accordée aux enfants et le degré d’intervention de l’adulte : des pistes auraient été les bienvenues. Pas de définition du « jeu semi-dirigé », qualificatif qui convient si mal au jeu, même atténué, pas plus que du mot « itinérance », terme plaqué sans autre explication que : « L’itinérance est distinguée de l’errance. » Cette courte phrase est impossible à décrypter sans connaître le courant pédagogique auquel elle fait allusion et qui est explicitement nommé page 99, « itinérance ludique ». Mais je croyais que c’était une marque déposée à ne pas citer n’importe comment ! Et pourquoi ce courant et pas d’autres ? Tous ces à-peu-près, au lieu d’être aidants, créent de la confusion, que ce paragraphe de la même page ne clarifie pas : « La planification est adaptée de façon souple, en continu, aux réactions des enfants, aux goûts qu’ils expriment, aux analyses des observations. Elle ne constitue pas un programme appliqué de façon stricte. » Je préfère nettement l’extrait du texte cadre pour l’accueil du jeune enfant de 2017 déjà cité : « En s’appuyant sur les intérêts des enfants et en privilégiant l’activité libre, le développement de l’enfant avant trois ans peut être envisagé autrement que sur le registre des stimulations éducatives programmées. »

Un ensemble de préconisations qui passent du coq à l’âne

À propos des jouets, il est juste indiqué que des « jeux variés doivent être à leur disposition (page 46) et que « les professionnels interviennent dans le choix des jeux et jouets (page 47). Une autre piste figure dans la partie « Pratiques organisationnelles » avec l’incitation à acquérir des « jouets de seconde main ». C’est bien, mais c’est tout.
Les objets semblent avoir plus la cote que les jouets (qui sont des objets aussi), mais dans le même paragraphe de la page 48, les consignes sont contradictoires : « Les professionnels acceptent ces détournements », mais la phrase suivante commence par « Lorsque l’enfant n’a pas l’usage de l’objet, les professionnels peuvent accompagner l’enfant et lui montrer comment l’utiliser sans l’empêcher d’en faire un autre usage. » Ce qui a pu être dit dans une discussion préparatoire au texte avait-il besoin d’être écrit noir sur blanc ?
Si j’essaye de résumer, en respectant le même vocabulaire, voici les huit préconisations qui devraient servir de boussole pour répondre au besoin de jouer dans les modes d’accueil : 1. Prévoir des espaces de motricité — 2. Laisser l’enfant circuler — 3. Accompagner l’enfant dans le jeu — 4. Réorienter l’enfant plutôt qu’interdire — 5. Réutiliser des objets du quotidien — 6. Proposer un matériel de jeu qui permette des actions variées — 7. Élaborer des ateliers « fait maison » — 8. Réagencer l’espace pour favoriser la mixité. Rien n’est faux, tout est mal formulé. Un discours pas très structuré et difficile à s’approprier, individuellement ou en équipe. Rien sur l’aménagement de l’espace, rien sur la connaissance des jeux et jouets, rien sur la continuité entre jeu à l’intérieur et jeu à l’extérieur, et plus gênant, rien sur les groupes d’enfants, selon l’âge et les effectifs.

Des recommandations essaimées au compte-goutte

Si on prend en compte le référentiel dans son intégrité, on trouve quand même quelques conseils répartis dans d’autres pages que celles sur le jeu et, cette fois, avec des prises de position tranchées. Dans « Les interactions entre enfants » (page 36), il est écrit que « Les lieux d’accueil favorisent des ensembles de plusieurs jeux identiques (même forme, même couleur) pour faciliter l’imitation des enfants et diminuer les conflits. » La source est connue et fiable, mais en tant quel seul et unique principe, c’est discutable. En cas de dispute autour d’un jeu, la phrase à dire aux protagonistes est dictée : « Je vois que tu veux faire comme… mais lui a encore envie de jouer, alors on va chercher comment faire. » Bien vu, car l’imitation des enfants entre eux est la base du jouer ensemble. Mais pourquoi autant de précision d’un seul coup, et ailleurs que dans les pages sur le jeu ? Même étonnement lorsque l’imaginaire fait son apparition dans la partie sur le langage (page 41) plutôt que sur le jeu : « Les professionnels alternent la lecture d’histoires écrites, le conte, l’histoire librement construite avec les enfants en suivant le fil de leur imaginaire. »

Les inexactitudes et le flou dans les lignes directrices à propos du jeu en général, du jeu libre et des activités ludiques en particulier, contrastent avec des prises de position plus affirmées dans d’autres domaines de l’accueil du jeune enfant. Faut-il en déduire que le jeu, c’est du plaisir, de la liberté, du partage, de l’exploration et du langage, mais que c’est difficile à mettre en mots ? Raison de plus pour s’appliquer dans le contexte d’un référentiel national.


LEVINE Fabienne - Agnès
Psychopédagogue française




En lien avec cette publication, sur notre site

Textes et documentation

Référentiel national de la qualité d'accueil du jeune enfant

Mediathèque pro

Tribune "Stop à l'infiltration de l'idéologie positive"
Amie         Médiathèque
Facebook
Lien copié dans le presse-papiers

Bienvenue sur notre site. Notre site est un site sécurisé selon le protocole HTTPS. Les cookies nécessaires à la navigation sur le site sont conformes au RGPD. Ils sont stokés au maximum un an. Ils peuvent être désactivés en modifiant les préférences de votre navigateur mais en ce cas vous ne pourrez pas naviguer sur notre site. En ce qui concernent les cookies non nécessaires à la navigation, vous pouvez les désactiver ci-dessous. Attention, nous vous recommandons de ne pas refuser les cookies fonctionnels "ReCaptcha" utiles à la sécurité des formulaires de contact. Par ailleurs, si vous supprimer les cookies de Youtube et Vimeo, vous n'aurez pas acccés aux vidéos du site. Enfin, en ce qui concerne le service "Google Analytics", nous utilisons le système de masquage de l'adresse IP, donc les données recueillies sont anonymes. Ne pas refuser ces cookies analytique nous permet de mieux analyser le fonctionnement de ce site pour ajuster son contenu à vos besoins.

ReCaptcha

Ce service de protection de Google est utilisé pour sécuriser les formulaires Web de notre site Web et nécessaire si vous souhaitez nous contacter. En l'activant, vous acceptez les règles de confidentialité de Google: https://policies.google.com/privacy

Google Analytics

Google Analytics est un service utilisé sur notre site Web qui permet de suivre, de signaler le trafic et de mesurer la manière dont les utilisateurs interagissent avec le contenu de notre site Web afin de l’améliorer et de fournir de meilleurs services.

Facebook

Notre site Web vous permet d’aimer ou de partager son contenu sur le réseau social Facebook. En l'utilisant, vous acceptez les règles de confidentialité de Facebook: https://www.facebook.com/policy/cookies/

YouTube

Les vidéos intégrées fournies par YouTube sont utilisées sur notre site Web. En acceptant de les regarder, vous acceptez les règles de confidentialité de Google: https://policies.google.com/privacy

Vimeo

Les vidéos intégrées fournies par Vimeo sont utilisées sur notre site Web. En acceptant de les regarder, vous acceptez les règles de confidentialité de Vimeo: https://vimeo.com/privacy

X / Twitter

Les tweets intégrés et les services de partage de Twitter sont utilisés sur notre site Web. En activant et utilisant ceux-ci, vous acceptez la politique de confidentialité de Twitter: https://help.twitter.com/fr/rules-and-policies/twitter-cookies

PInterest

Notre site Web vous permet de partager son contenu sur le réseau social PInterest. En l'utilisant, vous acceptez les règles de confidentialité de PInterest: https://policy.pinterest.com/fr/privacy-policy/

Bonne navigation. Merci