Mort de rire ou mort de peur

"Tel conte précis peut en effet angoisser l'enfant, mais à mesure qu'il se familiarise avec les contes de fées, les aspects effrayants tendent à disparaître, tandis que les traits rassurants gagnent en importance. Le déplaisir initial de l'angoisse devient alors le grand plaisir de l'angoisse affrontée avec succès et maîtrisée."
BETTELHEIM Bruno, Psychanalyse des Contes de Fées
Pédagogue et psychothérapeute américain d'origine autrichienne ( 1903-1990).

Se faire peur est un jeu très humain qui perdure bien souvent à l'âge adulte.
Car jouer avec ses peurs, et donc avec sa mort, c'est mieux apprendre à vivre.
Qu'est ce que la peur ?
La peur est un phénomène naturel, propre à l'ensemble des espèces animales, et de nature à faciliter la survie.
Winnicott rappelait que :
"un enfant saisi sous un gros orage, la nuit, dans les rues de Londres, et qui n’aurait pas peur, n’est pas un enfant sain".
On n'a pas à apprendre à avoir peur : nous sommes programmés pour cela.
L'humain est livré de série avec un petit logiciel à ressentir de la peur, placé dans une zone du cerveau nommée "amygdale" (rien à voir avec celles que nous avons au fond de la gorge).
La mémoire de l'espèce fait que nous sommes programmés pour éprouver des peurs naturelles : face au vide, au noir, aux animaux, aux inconnus, à l'enfermement dans un espace restreint...
En grandissant, la plupart d'entre nous allons apprendre à contrôler et dominer nos peurs.
Il y a la peur que l'on ressent, celle que l'on suscite chez soi ou chez l'autre, celle qui paralyse, celle qui fait bouger, celle qui fait mal au ventre, celle qui fait honte.
Il y a la peur de soi mais aussi celle de l'autre ; la peur que l'autre ressent pour nous qui parfois, nous réconforte et parfois, nous encombre ; la peur qui se communique.
Il y a la peur qui tient compagnie, celle qui nous fait nous sentir vivre, celle que l'on recherche, celle que l'on fuit, celle qu'on passe son temps à chercher pour la fuir.
Il y a la peur qui nous retient et nous protège et celle qui nous rend vulnérable et nous abîme.
A chacun ses peurs, avec sa manière, son style, ses ruses de les vivre et de les affronter.
Pourquoi les enfants aiment tant jouer à se faire peur ?
Parce que cela permet aux enfants d'être confrontés à leurs peurs et à les surmonter.
Pour jouer et rejouer avec la transgression et les limites qu'ils apprennent à intégrer.
Les enfants sont très dépendants des adultes, jouer avec la peur et pouvoir en triompher est une façon de s'autonomiser et de s'émanciper des adultes.
Au travers du jeu à se faire peur autour des contes, c'est traditionnellement un apprentissage abordable et médiatisé de la morale.
C’est une expérience bénéfique qui permet aussi de se familiariser à des situations potentiellement dangereuses et ainsi d’apprendre à mieux maîtriser ses comportements face au danger.
Les tout-petits ne font alors pas encore la différence entre le fantastique et la réalité, jouer à se faire peur leur permet petit à petit de tracer la frontière entre le réel, la réalité et l'imaginaire.
Jouer à se faire peur c’est aussi ressentir dans son corps des sensations physiques inhabituelles que les enfants peuvent vouloir explorer.
La réponse biologique et psychologique de notre corps peut faire de la peur quand elle n'est qu'un jeu, une expérience agréable. L'enfant joue aussi à se faire peur par plaisir.
Quand l'enfant est "mort de peur", il n'est pas loin "d'être mort de rire".Jouer à se faire peur peut aussi être un moyen de créer des liens avec les autres en de partager un même vécu riche en émotions et qui de ce fait fera trace ou pour trouver une fin heureuse à leur histoire.
Cela peut être aussi une manière pour un enfant ayant vécu une contrariété ou un traumatisme, de rejouer la situation à un niveau plus symbolique et dans un cadre rassurant pour dédramatiser ce qui a été vécu et se libérer ou de sa frustration ou de son stress et son angoisse.
Et aussi, "jouer avec la peur", chez les enfants plus grands, c'est parfois "jouer avec la mort" : "On dirait que tu étais mort".
Une manière de tenter appréhender la mort, pour l'apprivoiser et mieux apprendre à vivre.
Nourrir l'imaginaire de l'enfant pour traverser ses peurs
Les adultes doivent aider les enfants à nourrir leur imaginaire y compris l'imaginaire "des monstres et autres croques-mitaines" en leur lisant des histoires, en allant avec eux à des spectacles ( et chez les plus grands enfants, en visionnant des films et de dessins animés avec eu, en jouant avec eux, en discutant ensemble afin de leur permettre d'identifier leurs sensations et leurs émotions, les nommer et pouvoir les "travailler" au travers du jeu.
Bruno Bettelheim disait que l'adulte doit se contraindre, même si cela ne lui plait pas, à lire des histoires qui font peur à l'enfant ou à voir avec l'enfant des spectacles pour enfants qui font peur, à jouer à des jeux qui font peur pour que l'enfant trouve des points d’appui pour se dégager de ses peurs.
Pas de crainte à avoir, jouer à se faire peur n'alimente pas les angoisses des enfants, très tôt les tout-petits sont capables d'appréhender quand on fait semblant.
Depuis quelques années, l’humour a aussi pris une grande dimension dans la littérature enfantine. On rencontre des loups risibles, attendrissants.
Attention, dit Pascale Mignon, psychologue et psychanalyste, chargée de recherche au Grape, l’humour, c’est très bien, mais les livres drôles ne répondent pas aux interrogations des enfants. Il leur faudra trouver ailleurs où se confronter à leurs craintes.
A chaque peur, son jeu ; chaque jeu, sa peur
Le tout premier jeu à se faire peur "Coucou - Caché"
Le jeu "Coucou Caché" est un jeu universel et, semble-t-il, intemporel qui consiste pour un adulte ou un autre enfant à couvrir son visage avec ses mains ou un objet, puis à le découvrir en disant "Coucou !"
Avec ce jeu :
- L'enfant partage avant tout un moment de plaisir et de rigolade
- Au travers de cet échange de regards intensifié par le jeu, c'est toute une relation qui se tisse. L'enfant prend conscience de lui même à travers ce jeu dans le regard de l'autre et il sent qu'il compte aux yeux de l'autre.
- L'enfant expérimente la permanence de l'objet, c''est à dire que même si quelque chose ou quelqu'un n’est pas visible, il n'a pas disparu, il continue d'exister même quand il est invisible.
- Lorsque son partenaire disparaît et ré-apparaît, l'enfant se confronte à l'angoisse de la séparation. Il tente ainsi de maîtriser la peur fondamentale de se retrouver seul et construit sa base de sécurité affective.
- Il apprend aussi à anticiper une réaction et il manifeste sa surprise s'il est surpris quand son interlocuteur diffère sa réaction.
Elle fait un bisou à bébé et repart se cacher aussi vite. Faire mine de la chercher.
Recommencer plusieurs fois en variant l’emplacement des bisous et nommant les parties du corps que la peluche embrasse.
Autres jeux de cache- cache
A partir de 1 an : "J'ai peur ! Tu m’as eue !"
Laisser bébé se cacher, sous un foulard. Faire semblant de ne pas le trouver. Il doit surgir en vous faisant peur et vous, de vous exclamer bien entendu : "Tu m'as fait peur ! Tu m’as eue !".
Une surprise inversée très bénéfique à son ... ego.
Autre variante : Se cacher pour faire peur aux parents.
Là, l'enfant expérimente les émotions de ses parents ; l'angoisse d'abandon est inversée.
"Cache cache" traditionnel
Dès 15 mois, les jeux de cache-cache traditionnel ont beaucoup de succès.
La petite bête qui monte, qui monte
Ici on joue à se faire peur pour mieux se retrouver et rire ensemble, pour tisser un lien de complicité plus fort.
C'est un jeu pour rentrer doucement en contact avec l'enfant, l'apprivoiser.
Le monstre mangeur de bisous
Tout comme le jeu de la petite bête qui monte, ce jeu permet de se retrouver et rire ensemble.
Il met en scène la peur de la dévoration.
Ce jeu permet d'exprimer l'ambivalence qui existe dans toute relation humaine.
En jouant à faire semblant de se faire mal, l'enfant (et l'adulte aussi parfois, il faut oser le dire) peut évacuer tous les sentiments contradictoires qu'il renferme en lui : Le "je t'aime, je te hais".
C'est un jeu très utile pour détourner et évacuer les colères et les frustrations du tout-petit, bien plus qu'un simple jeu de bagarre qui lui n'aboutit pas en apothéose de bisous "réconciliateurs".
Une variante : "Lapin gourmand"
Prendre la main de bébé, et replier ses doigts à l’intérieur, un par un en racontant :
"Ce petit lapin a mangé toutes les carottes.
Ce petit lapin a mangé tous les échalotes.
Ce petit lapin a mangé toutes les griottes.
Ce petit lapin a mangé toutes les cracottes.
Et le petit rikiki qu’est ce qu’il va manger ? Tes menottes !"
Faire mine de lui manger les mains.
Jouer à la bagarre
Voilà un jeu qui a le don d'horripiler les mamans ou les assistantes maternelles.
Pourtant, ce jeu permet à l'enfant de se rassurer sur sa force, à un moment où, en pleine période œdipienne, il est inconsciemment en conflit avec la figure de même sexe que lui avec qui il est en "concurrence".
Jouer à la maitresse ou à la maman ou à la nounou qui puni
C'est l'enfant qui joue le rôle de l'adulte en exacerbant les réprimandes, voire en y introduisant une composante sadique.
Ce jeu permet à la petite fille, en pleine période œdipienne, de "prendre le dessus" alors qu'elle est inconsciemment en rivalité avec la figure maternelle.
C'est aussi un exutoire pour tous les enfants qui ont souvent du mal à accepter les limites imposées par les adultes, leur en imposer à leur tour permet de les accepter plus facilement.
Jouer à être un méchant héros
Fantôme, sorcière, pirate, monstre...
Les jeux commencent alors par des formules rituelles comme " On dirait que je serais ", etc.
Elles signalent l’entrée dans l’imaginaire.
L’enfant est capable de s’identifier à ses héros. Il n’imite plus seulement le vilain dragon qui crache du feu, il devient ce terrible dragon.
Cette faculté lui permet de se mettre dans la peau des adultes. Il peut être celui qui fait peur et prendre la place du plus fort.
Jouer au loup ou à chat perché
Avec ce jeu, l'enfant l'enfant apprend à échapper à l'agresseur qui prive de liberté.
Cela lui permet de mettre en place des ruses pour échapper à de potentiels agresseurs.
Cela lui permet de se dire que face à un agresseur bien réel, il ne serait pas totalement vulnérable.
Jouer à "il fait nuit noire"
Jouer à déambuler dans une pièce obscure semée d'obstacle. Ce jeu aide à vaincre la peur du noir.
Variante : Les lucioles
Jouer à faire danser des lampes de poche dans le noir. Ce jeu aussi aide à vaincre la peur du noir et les tout-petits adorent.
Jouer au manège
Prendre l'enfant dans les bras et danser et virevolter avec lui, pour apprendre à perdre les repères visuels, à apprécier la vitesse et vaincre le vertige.
Attention, il ne s'agit pas de "jouer à l'avion", l'enfant n'est pas pris par les bras mais dans les bras. "Jouer à l'avion" en faisant tourner très vite l'enfant tenu par les bras peut causer à l'enfant des traumatismes de l'épaule
Plus tard, c'est le tourniquet qui tourne à toute vitesse qui remplacera les bras de l'adulte et ensuite le manège
Manger sa peur
Demander à l'enfant de quoi il a peur.
Faire avec lui une pâte à sablés, découper des sablés figurant sa peur (araignées par exemple) et une fois cuit les déguster.
Jeu symbolique qui permet à l'enfant de surmonter ses peurs en les "mangeant"
- Rédigé par Magali
- 26/10/2008 date de première publication
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- "Red riding Hood" CC0 Jessie Willcox Smith (1863-1935) - Photographie :
- "Pouce, j'ai peur !" @DR